On entend souvent des cancans au sujet des uns et des autres. Ce qui me choque particulièrement sont les médisances faites en groupe contre une seule personne. Cela rappelle métaphoriquement les mises à mort auxquelles se pressaient avec avidité les gens autrefois. L'être humain est dichotomique. Les relations sociales l'obligent à la duplicité, à l'hypocrisie, car il ne peut montrer ouvertement son antipathie, pour sauvegarder une paix de façade. La réalité est parfois toute autre.
Quelles sont les raisons qui poussent les bla-blatteurs- cafar-deurs (notons la proximité lexicale avec des insectes bien connus), à déblatérer ?
J'ai été curieuse d'approfondir le sujet et j'ai trouvé une étude intéressante sur le net.
Mix entre une analyse de Eve Ysern et ma propre perception sur la question, inspirée des cancans entendus régulièrement.
Construire un récit commun
Une des fonctions des commérages est de souder le groupe en lui donnant des sujets de conversation, quand il n'en a pas de plus intéressants, et de fait, cela crée une complicité entre ses auteurs, cela scelle des alliances. Par ce biais, ils vont resserrer leurs liens d’appartenance en construisant et en s’appropriant un récit commun face à un événement ou à une cible donnée. Les cancans sont un cercle vicieux dont les auteurs ne peuvent sortir, car la plupart du temps, c’est la seule chose qui lie le groupe et il est rassurant, sécurisant d’appartenir à un groupe.
Les hommes cancanent sur les femmes qui ne veulent pas d’eux, les femmes, par jalousie, déversent leur bile sur l’objet de leur rage.
Les cancans pimentent la vie monotone des cancaneurs, et constituent un exutoire nécessaire à leurs frustrations et aux peurs mal identifiées qui peuvent miner leur moral.
Le goût pour les commérages traduit un besoin maladif d’informations. Si on n’en a pas, qu’à cela ne tienne : on va en créer !
Les situations un peu floues suscitent une inquiétude latente qui a tendance à rendre notre imagination fertile. D’une manière générale, cette manie de colporter des petites histoires – ou, à défaut, d’y prêter une oreille complaisante – n’est pas aussi futile qu’on pourrait le croire. Bien au contraire, les bruits de couloirs ont des vertus cachées.
Passage en revue des avantages méconnus des commérages
L’anthropologue Max Gluckman a analysé, dans les années 1960, la fonction cathartique d’une rumeur. En colportant des ragots, l’individu extériorise ses peurs, ses doutes ou sa colère. Quand il chuchote des inepties à propos de quelqu'un d'autre, il se rassure, se projette, et met des mots sur ses angoisses. La diffusion de racontars a même des effets physiologiques.
Une protection contre les “asociaux”
Ce passe-temps contribue à diminuer le niveau de stress. L’expérience menée par quatre chercheurs de l’université de Berkeley a mis en évidence une accélération des pulsations cardiaques chez des individus témoins d’un comportement qu’ils considèrent répréhensible. Or ce rythme redevient normal dès qu’ils font passer l’information à leur entourage afin de l’alerter.
Autrement dit, le cancan apaise notre angoisse face une situation mal vécue car nous cessons de la subir en agissant par la parole. C’est aussi un moyen pour le groupe de contrôler ou d’éloigner les personnes aux comportements différents, «asociaux». La différence fait peur. Parfois aussi, on critique l'autre qui ose vivre ce que nous n'avons pas la possibilité ou le courage de vivre.
La psychologue allemande Christiane Gelitz affirme que la médisance constitue un excellent substitut à la violence physique. (Ouf !) Bien souvent, les gens qui nous jalousent ou nous détestent seraient heureux de nous voir morts, or, la violence physique n'étant pas acceptée et réprimée par la loi, les gens compensent par la médisance, en dénigrant leur "ennemi(e)". Cette forme d’agressivité masquée serait donc un moyen de réguler la violence des relations sociales. Alors, la prochaine fois qu’une personne déblatérera sur votre cas, estimez-vous heureux : au moins n’en viendra-t-elle pas aux mains…
Défier les figures charismatiques
Un peu comme le grand public qui suit avec avidité les succès et les déboires des stars dans les magazine people, on s’intéresse particulièrement aux faits et gestes de personnes que l'on admire et que l'on envie, que l'on juge supérieures à nous.
En effet, dans bien des cas, les commérages prennent pour cible des personnes ayant un statut «supérieur» au notre sur un plan ou un autre. Les cancans constituent alors un moyen extraordinaire, pour les plus faibles, de remettre en cause la façon d'être de leurs "rivaux". C'est une forme de compensation cathartique, de consolation, face à la souffrance insupportable de ne pas être au même niveau que l'autre.
Qui cancane avec toi cancanera sur toi
Là où il y a cancan, il y a généralement volonté de déstabiliser les rapports de domination établis. La rumeur est un défi à la supériorité, un moyen de lutter contre le pouvoir et l'aura des individus dominants en instaurant d’autres règles.
"La médisance résulte souvent de la faiblesse de la personnalité du médisant, de son esprit, de son complexe d'infériorité. Vous devriez examiner votre âme pour découvrir ce qui vous incite à médire sur les autres, puis chercher le remède à cette faiblesse."
"Je ferai taire les médisants en continuant à bien vivre: voilà le meilleur usage que nous pouvons faire de la médisance."
Platon
Ceux qui te critiquent sont ceux qui te voudraient différent car ils voient en toi ce qu'ils ne seront jamais. Ils sont prisonniers de leur jalousie.
Tu ne peux empêcher les ja-casseurs de bla- blatter, de dé-blatérer. Alors continue de vivre libre, à ta guise, et laisse les jaseurs jaser.