Une Fenêtre

http://media-cdn.tripadvisor.com/media/photo-s/09/8c/56/0b/national-gallery-of-art.jpg

Looking Out, Looking In - Andrew Wyeth

J'ai découvert, il y a peu, ce tableau, que j'ai trouvé magnifique de délicatesse. Ici, la fenêtre ouverte est synonyme d'évasion, de liberté. Le rideau léger et vaporeux qui volète laisse entrer l'air frais, vivifiant et pur (espérons-le !) qu'il nous semble sentir et respirer à pleins poumons. Un air neuf, et avec lui un nouveau jour où tout est possible.

Toute fenêtre est une frontière qui sépare et marque la différence entre l'intérieur et l'extérieur. C'est une délimitation que l'on peut, à sa guise, ouvrir, fermer ou condamner par le biais de tentures ou de volets qui masqueront l'extérieur. Ainsi, on peut choisir de se tourner vers l'extérieur ou au contraire, de le rejeter...

L'intérieur est rassurant, c'est un cocon qui nous protège de l'extérieur, inconnu, donc potentiellement dangereux. On a peur de ce qu’on ne connaît pas. L'intérieur est l'antre du secret, de l'intime. C'est le domaine de la  tranquillité, de la quiétude. Dans " Paysage" (Les Fleurs du Mal), Baudelaire dit: « Je fermerai partout portières et volets/ L’Émeute tempêtant vainement à ma vitre/ Ne fera pas lever mon front de mon pupitre).

Cat by the fireplace

Le domicile est le lieu du foyer et de la vie privée, tandis que l'extérieur est celui de la vie publique et politique avec la participation de chaque citoyen aux affaires de la cité...Traditionnellement, les intérieurs sont en relation avec l’univers féminin et aux activités qui lui sont associées : tâches ménagères, éducation des enfants, conversation (éventuellement confidentielle), ou encore, dans le meilleur des cas, possibilité d’exprimer des talents artistiques, allant de la broderie à la pratique de la musique ou du dessin, en passant par la décoration intérieure. Cette attribution peut aller jusqu’au confinement de la femme, ou du moins, à des possibilités de sortie très limitées ou placées sous haute surveillance.
À l’inverse, l’extérieur est, jusqu’à une époque récente, le domaine préférentiellement réservé aux hommes : lieu de l’aventure, de la guerre, des activités professionnelles ou de loisir (équitation, chasse, pratique des armes...)

https://drfhlmcehrc34.cloudfront.net/cache/0f/a6/0fa69c06deb7d631b56414728dd623bd.png

Vermeer- Femme écrivant et sa servante

La fenêtre est un tremplin vers l’extérieur, elle entraîne la femme rêveuse, comme Emma Bovary, vers des représentations fantasmées, un monde imaginairement idéal, plus beau que son ennuyeux et médiocre quotidien.

De nombreux peintres dépeignent des femmes languissantes confinées dans un foyer oppressant, le regard plongé vers un extérieur synonyme d'évasion.

http://www.site-magister.com/fem-interieur.jpg

Caillebotte - Intérieur, femme à la fenêtre (1876)

Pour elles, la fenêtre est une cloison entre réclusion et liberté. Dehors, la vie poursuit son cours dans l’espace ouvert et lumineux et s'oppose au temps arrêté de l’espace clos et plongé dans l’obscurité. La frontière participe alors pleinement de la dramatisation du récit ou de l’image, elle porte en elle le désir de son franchissement, de la transgression.

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/58/Waiting_By_The_Window.jpg

Carl Holsoe - Waiting by the Window

La fenêtre marque une séparation entre ces deux espaces antithétiques et complémentaires, organisés autour des pôles silence/bruit, solitude/foule, intériorité/extériorité, immobilisme/agitation, dynamisme confus et bruyant de la vie extérieure, chaleur/froid..., obscurité/lumière : Les femmes sont représentées dans leur intérieur silencieux. Elles semblent refuser cet enfermement imposé à la femme bourgeoise de leur époque.

Résultat de recherche d'images pour "caspar david friedrich femme à la fenêtre"

Femme à la Fenêtre - Caspar David Friedrich - 1822

https://s-media-cache-ak0.pinimg.com/736x/73/af/e2/73afe229bb1e8238f0c62b1f96c88e7d.jpg

Marcel Rieder - Attente

La fenêtre ouvre des brèches dans l’emprisonnement, et favorise la transgression. En ce sens, c'est un espace de liberté provisoire. Elle devient un lieu de rencontre et de confidence amoureuse dans les scènes de balcon dans Roméo et Juliette et Cyrano de Bergerac.  La fenêtre est alors un lieu d'échange, de rapprochement, de liaison entre deux mondes opposés et complémentaires.

http://study.com/cimages/multimages/16/Balcony_scene.jpg

Scène du balcon de Romeo et Juliette

http://www.cyranodebergerac.fr/img_stoc/1001_images/cyrano_lebalconderoxane.jpg

 Cyrano de Bergerac

https://encrages.files.wordpress.com/2015/07/images-2.jpeg?w=748

Le motif médiéval de la Dame à sa fenêtre et du Chevalier faisant son aubade

Dans le roman chevaleresque, s’interposant entre le chevalier et la dame, la fenêtre agit comme une barrière. On ne permet pas au chevalier de dépasser la limite que lui impose la fenêtre, de sortir de son cadre.

http://1.bp.blogspot.com/-EvF2FqbazqM/Ua1rvjaeakI/AAAAAAAAKvs/Q_u-cV_bfnI/s1600/hopper1.jpg

Edward Hopper - Room in New York (chambre à New York) - 1932

Vue de l’extérieur, la fenêtre délimite un fragment de réel qui s’offre à la représentation, à la manière du cadre pictural. De l’extérieur, elle ouvre sur un espace donné à contempler ou à imaginer. Mais ce qu’elle montre n’est visible que partiellement, aussi participe-t-elle d’un jeu entre exhibition et dissimulation, propre à servir de tremplin à l’imaginaire. Que la fenêtre soit ouverte ou entrouverte, et l’espace privé perd de son étanchéité, laissant échapper des informations censées rester secrètes. Les personnages sont épiés à leur insu. Ce qui appartient à l’intimité investit alors l’espace public.

http://ladydesontay.com/images/peinture_grande_2.jpg

 Hours of Darkness  (Heures Obscures) - Edward Hopper

La fenêtre est une ouverture sur l'imaginaire, parce qu’elle joue simultanément ou alternativement sur le caché et le montré, elle incite à deviner ou à combler par le recours à l'imagination l’incomplétude de la vision. Voilages, tentures, stores, volets entrouverts, reflets, carreaux translucides ou opaques, clairs-obscurs ou pénombres, autant d’éléments susceptibles de venir altérer, abuser ou masquer la vue, et donc à laisser place à la fabulation. On franchit la limite du cadre pour accéder à l’autre côté du réel, où tous les possibles s’offrent à l’esprit vagabond. Au cadre banal, familier, vient se substituer un espace recomposé, idéalisé, fantasmagorique. Les fenêtres deviennent des vitrines qui exhibent l’intimité au regard des passants.

http://lewebpedagogique.com/lapasserelle/files/2011/05/affiche-Fen%C3%AAtre-sur-cours.png

Dans Fenêtre sur Cour, d’Hitchcock, le thème central est celui du voyeurisme. La fenêtre derrière laquelle le héros est immobilisé devient un poste d’observation privilégié sur les autres fenêtres de l’immeuble. Les voisins, n’ayant rien à cacher, négligent de protéger leur vie privée. L'embrasure fait le spectacle.  

https://c1.staticflickr.com/5/4040/4601376690_166acb3db4_b.jpg

 Magritte - La Condition humaine (1933)

Cette toile représente une mise en abyme d'un tableau devant une fenêtre, qui représente le paysage que l'on voit par la fenêtre. Magritte représente les interactions entre l’espace du dehors et celui du dedans. Ce tableau peut signifier la vision que tout un chacun a du monde, nos façons différentes de voir et d'interpréter le "réel".

On retrouve l'illusion d'un extérieur lorsqu'on regarde un tableau, une image, un écran de télévision ou lorsqu'on lit. On ouvre alors une fenêtre sur le monde, les images s’inscrivent sur la « surface » de cette ouverture : le tableau. Des « fenêtres » s’ouvrent en profondeur dans le tableau, il devient une fenêtre qui nous permet de nous évader vers un ailleurs, de rêver.  La fenêtre est un fragment magnifié, elle peut être un espace esthétique et poétique.

https://andreapawley.files.wordpress.com/2014/07/andrew-wyeth-wind-from-the-sea-1947-tempera-on-hardboard-national-gallery-of-art-gift-of-charles-h-morgan-2009-c2a9-andrew-wyeth.jpg

Wind From the Sea (Vent de la mer) -  Andrew Wyeth

La fenêtre est un cadre, à la fois proche et distant, une ouverture sur l'extérieur, sur le monde, sur l'imaginaire.  Elle invite à interpréter le réel et permet l'évasion onirique.

Elle est aussi une ouverture sur l'intérieur et permet l'effraction visuelle, l'observation, l'espionnage par les trous des rideaux. Elle magnifie alors le personnage qu’elle enserre. A partir d’un spectacle réel mais distant, le voyeur reconstitue un puzzle fictif,  imagine l’histoire, réinvente le sens.

  http://i.skyrock.net/7859/25257859/pics/3270824708_1_4_9INvNaEj.jpg

Sergei Andréïévitch Toutounov - Première neige (1925-1998)

Certains aimeront au lever se pencher à la fenêtre,  pour regarder la neige tomber, les rues s'animer ou les étoiles briller...

Texte inspiré par ets-baget  et par une  étude de Marie-Laure Noelle et remanié par mes soins.

Ajouter un commentaire
 

Créer un site internet avec e-monsite - Signaler un contenu illicite sur ce site